La construction du chaos au Proche-Orient
« Le sujet du livre est double et double aussi son intérêt. C'est un récit de la campagne d'Arabie et une biographie du colonel Lawrence : l'un et l'autre d'une originalité qui en fait le mérite. »
Dans l'action de Lawrence au Proche-Orient, Liddell Hart trouve l'éclatante confirmation de sa théorie de l'approche indirecte. La rencontre entre ces deux intelligences et ces deux cultures permet de constater l'existence de deux phénomènes majeurs de la pensée stratégique : la filiation des conceptions à travers les siècles, de stratégistes en stratégistes et simultanément la polarisation de ces conceptions qui tendent à se poser comme incompatibles jusqu'à l'hostilité.
Sans être dupe mais à son corps défendant, Lawrence a contribué à créer l'instabilité sur cet immense espace que nous nommons Proche- ou Moyen-Orient. Il est l'homme par qui le chaos s'est installé, durablement ravageur, vouant l'ensemble de la région à des convulsions sans fin, des insurrections permanentes, des déplacements forcés de population et d'épouvantables massacres. Cela, il ne pouvait le prévoir. Croyant, de bonne foi, satisfaire les aspirations des Arabes, il ne fut que le jouet d'un enchaînement implacable d'affrontements entre de nombreux acteurs poursuivant des buts incompatibles. Durant un siècle le chaos n'a fait que s'amplifier. Les guerres de Syrie et d'Irak débordent sur les frontières et provoquent l'ingérence des puissances extérieures.
La lecture de Liddell Hart et de Lawrence nous fait éprouver un sentiment de familiarité avec la situation actuelle du Proche-Orient. Un siècle plus tard, si la guerre oppose des acteurs différents poursuivant des buts nouveaux, nous retrouvons les mêmes lieux et les mêmes comportements. La géographie dicte sa loi aux hommes et aux matériels : il faut traverser les mêmes fleuves, suivre les mêmes axes de communication. Il en résulte des principes assez constants de conception et de conduite des opérations. Syriens, Iraniens, Russes, djihadistes de toutes sortes, réguliers et irréguliers marchent dans les pas de Lawrence et souvent font les mêmes calculs stratégiques pour contrôler l'espace, s'emparer des points névralgiques et gagner la guerre.
Mais au Proche-Orient il semble qu'il n'y ait jamais de victoire définitive. La défaite de l'État islamique mettra-t-elle fin à un siècle de chaos ? C'est plus que douteux.
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Le capitaine Liddell Hart, critique militaire du Times et théoricien écouté outre-Manche, s'apparente aux chercheurs qui, tels que von Seeckt et Douhet, s'efforcent de combiner les enseignements de l'histoire et l'étude de la présente évolution industrielle pour dégager une science militaire quelque peu rajeunie. Ce livre dépasse la seule critique de la campagne d'Arabie ; il a sa place dans une bibliothèque où doit être représentée l'évolution des idées militaires modernes.